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Logiciel libre ou open source ? Deux visions du code à ne pas confondre

Le monde du développement logiciel est traversé par des débats passionnés, mais rares sont ceux qui suscitent autant de discussions que celui entre logiciel libre et open source. Si, pour beaucoup, ces deux termes semblent interchangeables, ils recouvrent en réalité des philosophies profondes et distinctes. Ce sont deux façons différentes de penser le code informatique, son usage, sa distribution et sa finalité. Derrière ces mots se cachent des visions du monde, des choix politiques, des modèles économiques et des implications sociales majeures.

Cet article propose d’explorer avec précision les origines, les principes, les divergences, mais aussi les points communs entre le logiciel libre et l’open source. Une analyse nécessaire pour mieux comprendre pourquoi, encore aujourd’hui, les débats restent vifs dans les communautés technologiques.

Origine et contexte historique des deux termes

L’émergence du logiciel libre dans les années 1980

L’histoire du logiciel libre débute officiellement en 1983, avec le lancement du projet GNU par Richard Stallman, informaticien et militant pour les libertés numériques. Il constate alors que les logiciels deviennent de plus en plus propriétaires, fermés, et que les utilisateurs perdent leur droit de les étudier, les modifier ou les partager.

Avec la création de la Free Software Foundation (FSF) en 1985, Stallman cherche à institutionnaliser un mouvement centré sur la liberté des utilisateurs, définissant quatre libertés fondamentales :

  • la liberté d’exécuter le programme pour tous les usages ;
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
  • la liberté de redistribuer des copies du programme ;
  • la liberté d’améliorer le programme et de publier ces améliorations.

Pour Stallman, un logiciel qui ne garantit pas ces quatre libertés n’est pas libre, même s’il est accessible sans frais.

La naissance de l’open source dans les années 1990

Au tournant des années 1990, l’idée de logiciel libre se diffuse, notamment grâce au noyau Linux développé par Linus Torvalds, mais elle reste marginale dans le monde de l’entreprise. Beaucoup sont rebutés par le ton militant et les connotations politiques du terme « libre ».

En 1998, un groupe de développeurs, dont Eric S. Raymond et Bruce Perens, propose une nouvelle approche : l’open source. Ils créent l’Open Source Initiative (OSI) et définissent une Open Source Definition dérivée de la licence Debian Free Software Guidelines. L’objectif est d’attirer l’attention du secteur privé en mettant en avant les bénéfices pratiques et techniques de l’ouverture du code, plutôt que les questions éthiques.

logiciel libre

Deux philosophies, une même base technique

La convergence autour de licences similaires

En pratique, beaucoup de logiciels sont à la fois libres et open source. Par exemple, les licences GPL, MIT, Apache ou BSD sont souvent reconnues à la fois par la FSF et l’OSI. Autrement dit, les outils juridiques sont souvent partagés.

Mais là où le logiciel libre met l’accent sur la liberté des utilisateurs, l’open source préfère souligner la qualité du code, la collaboration ouverte et les avantages économiques du développement partagé. Pour le libre, la liberté est un droit inaliénable. Pour l’open source, c’est un moyen stratégique d’améliorer les logiciels.

Une différence d’approche fondamentale

Richard Stallman a souvent affirmé que « open source est une méthodologie, le logiciel libre est un mouvement social ». Cette phrase résume bien la tension qui sépare ces deux visions : d’un côté, une approche morale qui considère le code comme un bien commun, et de l’autre, une stratégie de développement qui vise à produire de meilleurs logiciels grâce à la transparence.

Cette divergence a des implications concrètes. Par exemple, certaines licences open source, comme la permissive licence MIT, autorisent l’intégration du code dans des logiciels propriétaires. Ce serait inacceptable pour les puristes du libre, qui privilégient des licences copyleft comme la GPL, imposant la même liberté aux œuvres dérivées.

Logiciel libre : une vision politique et éthique du numérique

La défense des libertés numériques

Le logiciel libre s’inscrit dans une lutte plus large pour les droits numériques, l’autonomie technologique et la démocratie de l’information. Il s’oppose frontalement aux monopoles, au surveillance capitalism et aux verrous numériques (DRM).

Utiliser du logiciel libre, c’est faire un choix politique : celui de ne pas dépendre d’acteurs privés pour contrôler les outils que l’on utilise. C’est une manière de reconquérir sa souveraineté numérique.

Le rôle des communautés

Le développement de logiciels libres repose souvent sur des communautés bénévoles, motivées par des valeurs communes. Ces collectifs assurent la maintenance, l’évolution et la documentation des projets. Le logiciel libre devient ainsi une œuvre collective, construite sur la transparence et la collaboration.

Mais cette approche peut aussi souffrir d’un manque de ressources, d’une gouvernance floue ou d’une faible reconnaissance dans le monde professionnel.

Open source : efficacité, innovation et pragmatisme

Un modèle adapté au monde de l’entreprise

L’open source, en se distanciant du discours militant, a su séduire les grandes entreprises. Des géants comme Google, Amazon, Microsoft ou Meta publient aujourd’hui des projets open source, y contribuent ou s’en servent dans leurs infrastructures.

Pour ces entreprises, l’open source est un levier d’innovation : il permet d’accélérer le développement, de bénéficier des retours d’une communauté, tout en gardant un contrôle stratégique sur certains composants.

Risques et critiques

Le revers de cette adoption est la récupération commerciale de projets open source. De nombreuses critiques émergent contre ce que l’on appelle le fauxpen source : des logiciels ouverts en apparence, mais dont le contrôle réel est assuré par des acteurs dominants.

D’autres soulignent la fragilité des contributeurs indépendants, dont le travail est souvent exploité sans compensation, ou encore la tendance à fermer certains modules clés derrière des offres « freemium ».

Points de convergence et tensions durables

Des objectifs parfois communs

Malgré leurs différences, logiciel libre et open source partagent de nombreux objectifs :

  • la lutte contre la dépendance aux logiciels propriétaires ;
  • la promotion de standards ouverts ;
  • la valorisation de la collaboration entre développeurs ;
  • l’encouragement à l’auditabilité du code.

Ils sont également confrontés aux mêmes défis : financement, sécurité, gouvernance, reconnaissance.

Le choix des mots n’est pas neutre

Il serait tentant de considérer que la différence entre libre et open source est purement sémantique. Mais ce choix de vocabulaire oriente les décisions, les alliances, les modèles économiques. Parler de « libre » insiste sur la liberté de l’utilisateur. Parler de « open source » insiste sur la qualité du code et l’efficacité collective.

Dans les discours politiques ou médiatiques, cette confusion peut aboutir à des malentendus profonds, voire à une instrumentalisation du mouvement libre à des fins purement commerciales.

Vers une convergence possible ?

Certains acteurs plaident aujourd’hui pour une réconciliation entre les deux approches. Ils estiment qu’il est possible de concilier éthique et efficacité, valeurs humaines et logiques de marché. De nouveaux termes émergent, comme open science, open data, open governance, qui réintègrent les dimensions sociales dans l’ouverture.

Mais pour d’autres, cette tentative d’harmonisation masque un affaiblissement des exigences politiques portées historiquement par le mouvement du logiciel libre.

En définitive, comprendre la différence entre logiciel libre et open source, c’est aussi comprendre que derrière un même code, peuvent cohabiter des visions du monde radicalement opposées. L’un met l’accent sur les droits fondamentaux, l’autre sur la performance et la transparence. Savoir faire la distinction entre les deux, c’est refuser la confusion, et choisir en conscience les fondements de la société numérique que nous voulons bâtir.

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